Bonjour à toutes et tous.
Pour commencer, j'ai envie de vous parler de la déficience visuelle, mais sans m'attarder sur l'aspect médical (beaucoup de sites associatifs, personnels et autres en parlent déjà très bien), mais plutôt en vous livrant quelques facettes et anecdotes que l'on ne rencontre pas forcément à tous les coins du web, et d'ailleurs... Le tout sans misérabilisme, avec juste ce qu'il faut d'humour pour que, je l'espère, vous passiez un bon moment sur mon blog...
"Il marche tout seul ?", Oui, on lui a changé les piles ce matin...
"Il a fait des études ?", Pensez-vous... vous faites bien de ne pas lui parler directement, il est bête comme ses pieds...
"Comment fait-il pour manger ?", On a essayé de lui faire un tas par terre, mais finalement il fait moins de saletés avec une cuillère ou une fourchette dans une assiette... Et puis, cela faisait désordre quand on recevait du monde...
Même si ces questions font partie de mon vécu, je vous rassure, je ne les ai entendu qu'une fois dans ma vie...
Sans oublier les quelques personnes qui n'ont jamais voulu me rencontrer, de peur de ne pas savoir comment se comporter avec cette drôle de bête...
Sinon, à part cela, tout va bien... Mais il est vrai qu'en général, une personne valide arrive difficilement à s'imaginer comment, sans les yeux, il est possible d'évoluer dans notre monde où le visuel est omniprésent.
Il ne faut pas se mentir, on a encore rien trouvé de mieux pour éviter un obstacle à bonne hauteur, pour esquiver une tarte à la crème ou une claque sur le nez même si elle est méritée...), et accessoirement pour conduire une voiture, feuilleter le journal ou encore trouver un produit en particulier dans un rayon de magasin ou admirer une jolie fille dans la rue, surtout quand on sait que nous ne pouvons recourir qu'au toucher pour apprécier les formes, aussi bien des objets qui nous entourent que celles d'une personne... Il y a des choses qui ne se font pas, et encore moins dans la rue avec une inconnue...
Le toucher, justement, va nous permettre de lire le Braille, de reconnaître la matière d'un vêtement, (et dans de rares cas, certaines personnes aveugles ressentent (et surtout arrivent à différencier) aux bouts de leurs doigts, les fréquences émises par les différentes couleurs...
L'ouïe est également un outil très important, voire primordial pour apréhender notre environnement, notamment pour nous permettre d'analyser les flots de circulations des voitures en ville pour repérer les feux tricolores, pour retrouver un passage pour piétons par exemple.
A ce sujet, quand j'étais ado et que je faisais mes études à l'Institut National des Jeunes Aveugles à Paris, en complément de ma scolarité, j'apprenais, avec un prof de locomotion, à me déplacer dans la rue, le métro, dans une boutique, ..., pour devenir autonome...
Un jour, nous voilà parti, ma professeur et moi, ma canne blanche à la main, à la découverte d'un carrefour... Planté devant un passage pour piétons, je devais juste à l'oreille, mémoriser le nombre de rues présentes, avec les sens de circulations, pour lui matérialiser le tout sur un tableau aimanté, à notre retour dans son bureau. J'oubliais... Pour me laisser me concentrer, elle restait un peu en retrait...
Soudain, je sens une grosse main qui me prend le bras, me soulève à moitié, et me fait traverser la route sans rien dire... Une tape sur l'épaule et me voilà à nouveau tout seul devant une autre voie du carrefour... Pas de nouvelles de ma prof, et comme je n'avais pas le droit de traverser seul, pas avant qu'elle soit sûre que j'étais capable de prendre toutes les précautions d'usages, je reprends mon exploration là où je me trouve, quand un passant m'aborde et me propose son aide pour traverser... Une brève explication suffit pour que je poursuive mon écoute des lieux. A ce stade, je commence un peu à me mélanger les crayons, quand une nouvelle personne arrive près de moi et me parle dans une langue que je ne connaissais pas... Je lui dis "no" en faisant un signe de négation de la tête, puis plus rien... Les véhicules s'arrêtent au feu, et l'homme m'agrippe par le bras pour me faire traverser la rue, un terre-plein, puis une autre portion de route d'au moins 3 voies... Et là, je suis perdu... Et toujours pas de nouvelles de ma prof...
Une jeune fille m'aborde et me demande si elle peut faire quelque chose pour moi... Elle devait avoir dans mes âges (autour des 16 ans). Pour la petite histoire, elle avait une très jolie voix et un super parfum... Plutôt bien inspiré par cette charmante rencontre, je commence à lui raconter ma mésaventure et lui explique que j'étais en cours de locomotion... Elle me répondit alors qu'elle avait un peu de temps, et qu'elle pouvait me guider et me faire découvrir l'ensemble du carrefour si je le souhaite... Je craque et attrape son bras... Et pour la première fois, je réalisai que la cécité n'était pas toujours un fardeau... et me voilà parti à l'aventure en super compagnie... Après une ou deux traversées de rues, une femme nous accoste... C'était ma prof...
De retour à l'école, il ne m'a fallu que quelques secondes pour lui dresser un portrait rigoureusement exact du dit carrefour et j'eus enfin l'explication de son absence sur le terrain...
L'enseignante me confie qu'elle observait mes réactions face à l'Inconnu et qu'elle avait apprécié mon sang froid et ma détermination à explorer l'endroit, et sans hésiter, elle me délivra l'autorisation de sortir seul dans le quartier...
Pour terminer avec cet épisode, je suis retourné quelques fois sur les lieux de ma troublante rencontre, mais je n'ai jamais revu ma belle inconnue...
Avant de terminer, voici deux petites anecdotes qui se passent de commentaires. Du vécu, pur et dur...
La scène se passe dans une grande avenue plutôt calme. Je marche seul, un peu comme dans la chanson de Jean-Jacques Goldman, quand j'entends, dans mon dos, le bruit caractéristique d'une paire de chaussures à talons qui se rapprochent dangereusement... Le timbre de la voix confirme mes soupçons sur le fait qu'il s'agisse bien d'une femme... Et d'une cinquantaine d'années pour être plus précis. Visiblement, elle a l'air très pressée, et sans ralentir, en arrivant à ma hauteur, elle me demande si je fais bien attention avec ma canne. Je lui répond que "bien entendu, madame". Le trottoir, d'environ 2 mètres de large est désert, et alors qu'elle me dépasse, toujours à la même cadence, c'est en arrivant au moins à 2 ou 3 mètres de moi que je l'entends marmonner : "Il me la foutrait bien dans les pattes, ce con-là"...
Autre jour, autre lieu... à la sortie de la bouche de métro près de l'Institut des Jeunes Aveugles, un quartier bien fréquenté par mes congénères en canne blanche... Je marche sur le trottoir quand ma canne heurte "quelque chose" de souple... Oups, il s'agit d'une jambe... Aussitôt je m'arrête et présente mes excuses à son propriétaire, puis je reprends mon chemin. Au bout de quelques mètres, je sens une présence qui se rapproche dans mon dos (le vacarme de la circulation m'empêchant d'entendre le bruit des pas...), et une main m'attrape le bras... bien moins grosse que celle du carrefour de tout à l'heure, mais tout de même, cela me stoppe dans mon élan...
Une personne d'un certain âge, la voix chevrotante et en même temps pleine de douceur et de gentillesse me déclare calmement : "Merci beaucoup Monsieur ; vous savez, c'est rare les gens comme vous qui s'excusent"...
Pour conclure, mes parents m'ayant appris la civilité et la politesse, j'ai tendance à présenter mes excuses un peu trop vite parfois... Et il m'arrive de vivre de grands moments de solitudes... Surtout quand le maudit poteau que ma canne blanche à laissé passé, et auquel je déclare mes plus sincères excuses pour lui avoir mis un coup d'épaule, se trouve juste devant une terrasse de café bien remplie...
A présent, la parole est à vous...
Vous êtes valides , et vous vous êtes un jour retrouvé dans une situation cocasse ou désagréable avec une personne déficiente visuelle,
vous êtes mal ou non-voyant, et vous avez une anecdote à raconter,
n'hésitez pas à laisser un commentaire...
Merci beaucoup pour votre visite et à bientôt.